14 juillet 2015

Rien ne bouge


Marco regardait le visage de Lucille. Elle et lui des illégitimes ces gens qui s'embrassent sur les bancs dans les parcs, dans la rue sur les trottoirs ; ces couples qui ont la cinquantaine, l'âge où on ne s'empoigne plus à pleine bouche aux yeux de tous.
Illégaux. Amants. Adultères.
Derrière ces mots assez passables il y avait néanmoins des sentiments, peut-être même de l'amour.

Marco était de ces hommes forts et puissants, intrigant fonctionnaire. Haut fonctionnaire. De ceux la même qu'on nomme les huiles.
Naturellement impeccable sous tout rapport, somptuaire et moral ; facile en discution.
Fabriqué à l'école des fonctionnaires, n'en reniant rien ; faisant juste quelques critiques utiles, disons celles convenues par tous. Utiles pour se rendre sociable. Marco travaillait pour le ministère de l'Éducation Nationale, une place dans un beau cabinet. Bon élève il était monté comme on dit banalement dans l'ascenseur social et ne c'était pas trompé d'étage. Il en vénérait de fait le système et s'adonnait tout entier à son métier.

Catherine.
Catherine était son épouse au sens officiel de la chose car une épouse doit devenir une mère ; suffisait d'en référer au livret de famille. Catherine servait elle aussi mais à un échelon bien inférieur l'Education Nationale. Elle occupait un poste dans un lycée professionnel. Elle enseignait les lettres et l'histoire-géographie. Marco et elle partageait la même passion surtout pour la géo.
Catherine était génétiquement privée de l'aisance de son mari : Marco parlait, Catherine répétait, approuvait avec certitude.
La vie allait ainsi.

L'un et l'autre étaient littéralement dénués de sex appeal. Lui, grand mais dégarni, laissant filtrer son stress à coup de petites plaintes stridentes à peine retenues. Et puis il y avait cet index qu'il triturait par alternance entre ses incisives.
Elle portait des tenues sportswear de bon rapport qualité-prix - certaines marques ont fait beaucoup de mal au corps professoral. Sa peau de blonde manquait cruellement d'hydratation autant que sa teinture blond clair uniforme manquait de retouches aux racines. Et fallait- il parler des dents ?

De l'argent il y en avait. Bien assez en tout cas pour les voyages au bout du monde de Bali à Vancouver. Leur demeure, une maison de maître cossue qui se situait dans le Nord de la France.
La vie allait ainsi.
Et pourtant elle n'allait pas. La preuve en était Lucille, cette inspectrice académique un peu vieille fille qui avait su détourner Marco du regard de Catherine et l'attraper malgré ses airs de godiche par le sexe.
Lucille s'était la vie en cachette, les promenades à Paris, le pont des Arts et toutes ces cochonneries dans les hôtels juste convenables du quartier latin.
Marco s'envoyait en l'air ; Lucille s'envoyait en l'air et tous les deux s'envoyaient bien loin d'un quotidien très quotidien. Le plaisir, la liberté (fausse) gouvernait cette idylle. Est-ce que c'était plus ou moins que cela ?
Ils découvraient ensemble la capitale, les déjeuners au Procope, le passage de la rue Dauphiné et tout ce que Paris réserve aux amoureux. Catherine, le Nord c'étaient loin.

Aux yeux de Marco tout était logique. Il s'octroyait dans le plaisir sa petite vengeance. Après tout la déliquescente Catherine ne lui avait pas donné ses petits  ; à l'occidentale il la repudiait.

La géographie avait ses limites : croquis, couleurs, flèches, composition coeff trois et puis quoi encore ? Le dernier modèle de Saskia sur les villes globales ? La géographie ça donne faim. On s'ennuie tellement. Marco lui il voulait tout engloutir : de la bouche de Lucille à son derrière plutôt bien fait, il en bavait pour venir à bout de cette péppée enfoulardée.

Et elle Lucille ?
Comment pouvait on tomber sous le charme de cet homme, Marco, sinon parce qu'il incarnait la puissance ? Elle mangeait le pain noir, qui n'était d'ailleurs pas dégoûtant.
Tout le monde utilisait tout le monde -ou presque.
Marco utilisait Lucille qui lui asticotait bien les parties fines. Elle en tirerait bien bénéfice quand son N+1 giclerait.
Catherine semblait en reste mais c'était au fond elle qui cachait le mieux son jeu. Passive elle n'en restait pas moins voyeuse. Dans sa salle de classe ultra testéronée elle se réjouissait de tous ces pénis dirigés involontairement vers elle. Ils avaient de beaux sexes, jeunes, fermes, bien faits. Elle aimait le grand Kurde, ses yeux vert d'eau et ses rêves de football. Certains s'éternisaient un peu pernicieusement à son bureau après la sonnerie. Elle les aimaient ses petits tout en sachant que ces nuées masculines autour d'elle ne cherchaient qu'un mot doux sur un bulletin.

Tous trois avaient leurs plaisirs et leurs vices ; et cela ne changeait rien à rien. Tout le monde savait tout et rien n'était troublé pour autant. Ceux qui avaient croisé Marco et Lucille main dans la main avaient gardé le silence. Chacun avait son point de vue du plus au moins tolérant mais le plus important c'est que rien ne changeait rien. Marco est resté avec Catherine. Marco fréquente peut-être encore Lucille, en tout cas elle a été promue.

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